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14 octobre 2012.

Eaux constitutionnelles

ÉDITO OCTOBRE 2012 Les Genevois se sont donné le 14 octobre (...)

ÉDITO OCTOBRE 2012

Les Genevois se sont donné le 14 octobre 2012 une nouvelle Constitution cantonale. Cette loi fondamentale contient plusieurs paragraphes relatifs au domaine de l’eau. Une bonne occasion d’aller voir la place que les autres Constitutions suisses, fédérale et cantonales, donnent à cette ressource, à sa protection, à sa gestion et à son exploitation.

Dans son article 76, la Constitution fédérale, révisée en 1999, définit le cadre général et les tâches respectives de la Confédération et des cantons dans le domaine de l’eau. L’État fédéral doit veiller à l’utilisation rationnelle de cette ressource, à sa protection et à la lutte contre les dommages qu’elle peut entraîner lors de catastrophes naturelles ; il fixe les principes de la conservation des ressources hydriques et de leur mise en valeur, de leur utilisation pour la production d’énergie et autres interventions dans le cycle hydrologique ; il lui revient enfin de légiférer en matière notamment d’aménagement des cours d’eau, de débits résiduels et de sécurité des barrages.

Mais, comme dans la précédente Constitution (son article spécifique sur l’eau n’y avait trouvé place qu’en 1975), il est clairement affirmé que la souveraineté sur les eaux appartient aux États cantonaux qui peuvent en disposer librement et percevoir des taxes pour leur utilisation. Concrètement, la Confédération n’intervient alors que pour statuer en cas de litige entre des cantons partageant les mêmes ressources hydriques. Cette répartition des tâches a pour conséquence directe de faire coexister en Suisse - dans la gestion des eaux comme dans une multitude d’autres domaines - autant de systèmes juridiques que de cantons, c’est-à-dire 26 réglementations différentes dont l’essentiel, en ce qui nous concerne ici, tient en trois mots-clés : gouvernance, approvisionnement, protection.

Le droit à l’eau ? sous-entendu

Ni la Constitution fédérale ni aucune loi fondamentale cantonale ne font explicitement référence au droit à l’eau et à l’assainissement tel qu’il a été reconnu en 2010 par l’Assemblée générale des Nations Unies, à savoir “un droit de l’homme, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme”. Un droit fondamental, soit dit en passant, dont nombre de mouvements militants de par le monde demandent l’inscription dans les lois fondamentales.

Pour expliquer ce mutisme, deux raisons sont généralement invoquées. D’une part, la Constitution fédérale garantit le droit à la vie (art.10) et celui d’être aidé dans des situations de détresse (art.12), ce qui inclut implicitement l’obligation pour l’État de protéger les personnes qui n’auraient pas accès au minimum d’eau potable requis “pour mener une existence conforme à la dignité humaine”. D’autre part, le gouvernement fédéral (*) estime qu’il n’est pas nécessaire d’inscrire le droit à l’eau dans la Constitution, vu qu’il est déjà ancré en tant que droit humain fondamental dans plusieurs conventions internationales ratifiées par la Suisse.

Il y a une dizaine d’années, le Parlement fédéral n’avait pas donné suite non plus à la proposition d’un groupe de députés écologistes visant à modifier l’article 76 de la Constitution fédérale pour préciser que “les ressources d’eau potable et les installations nécessaires au captage, au traitement et à la distribution de l’eau potable sont un bien public qui ne peut être vendu à des privés”. Plus tard, le même sort devait être réservé à une proposition plus ou moins similaire interdisant que l’approvisionnement en eau potable réponde à une logique lucrative et soit laissé au jeu des forces du marché. (*)

Le surprenant silence valaisan

S’agissant des 26 Constitutions cantonales, on notera tout d’abord que six d’entre elles (Appenzell Rhodes-Intérieures, Lucerne, Tessin, Valais, Zoug, Zürich) ne contiennent aucun article relatif au domaine de l’eau. Pour en savoir plus, il faut consulter directement l’éventail de lois qui s’y rapportent.

Le cas du Valais est doublement surprenant. D’abord, parce que dans ce canton alpin qui appartient dans sa quasi-totalité au bassin versant du Rhône, ce fleuve sert pour ainsi dire de colonne vertébrale à un vaste réseau de rivières latérales alimentées par de nombreux glaciers, et déverse en moyenne dans le Lac Léman plus de 180 mètres cubes d’eau par seconde. L’eau, assurément, est au cœur du patrimoine naturel valaisan, mais aussi de son patrimoine économique et social, surtout si l’on se souvient du rôle que les bisses - ces canaux d’irrigation typiques des paysages alpins - ont rempli durant des siècles et jouent encore aujourd’hui dans le développement agricole et touristique.

Le second motif d’étonnement à propos de cette absence de l’eau dans la Loi fondamentale valaisanne tient aux barrages hydroélectriques qui font la fierté et la richesse de ce canton, puisque c’est précisément dans les droits d’eau relatifs à la production d’énergie hydraulique que le canton trouve une source quasi intarissable de revenus et un élément essentiel de sa croissance économique. C’est dans les lois sur les cours d’eau et sur l’utilisation des forces hydrauliques qu’il faut chercher la clef de la gestion des eaux valaisannes : le Rhône (avec une petite portion du Lac Léman) fait partie du domaine public cantonal, les autres eaux publiques - les cours d’eau des vallées latérales comme les eaux souterraines - relèvent de la souveraineté des communes.

Régales et monopoles

Parlons gouvernance. Les différentes Constitutions cantonales qui traitent du domaine de l’eau sont on ne peut plus claires : ce domaine, rattaché aux “choses publiques”, relève de la souveraineté de l’État cantonal. C’est un droit régalien qui lui assure, comme le stipule par exemple la Constitution de Bâle-Campagne, “le droit exclusif à l’activité et à l’exploitation économiques”.

Certains textes, telle la Constitution d’Argovie, précisent que “le canton peut exercer ces attributions lui-même ou les transmettre à des tiers par une loi ou une concession”, étant entendu que “les droits privés existants demeurent réservés”. Un bon nombre d’États cantonaux ont d’ailleurs transféré une grande partie de leurs compétences en la matière aux communes (qui “peuvent exploiter des entreprises de distribution” pour reprendre la formule utilisée par la Constitution de Thurgovie) tout en gardant un rôle d’autorité de surveillance.

Bâle-Ville et Genève font exception et ont confié tout ou partie des tâches du domaine de l’eau à des établissements autonomes de droit public et non à leurs communes. Cependant les Genevois sont les seuls à avoir inscrit dans leur Constitution que "l’approvisionnement et la distribution d’eau et d’électricité, ainsi que l’évacuation et le traitement des eaux usées, constituent un monopole cantonal" et que ce monopole "peut être délégué à une institution de droit public" (ce principe du "monopole public" avait déjà été décidé à une large majorité lors d’un scrutin populaire en décembre 2007). Quant aux Bâlois, ils ont jugé nécessaire de préciser que "l’approvisionnement en eau ne peut pas être délégué à des entreprises dont les bénéfices reviennent en tout ou en partie à des particuliers."

Priorité à l’approvisionnement

L’eau étant une ressource absolument indispensable à la vie, qui plus est irremplaçable, ce sont les tâches relatives à l’approvisionnement de la population en eau potable (totalement absentes de la Constitution fédérale) qui reviennent le plus souvent dans les différentes Lois fondamentales cantonales, et cela sous des libellés assez semblables qui tiennent en une phrase : “Le canton et les communes assurent l’approvisionnement”.

Ici et là, les différents législateurs notent que cet approvisionnement entraîne des responsabilités et des obligations supplémentaires pour les services communaux qui doivent entre autres veiller à ce qu’il soit “suffisant, diversifié, sûr, économiquement optimal et respectueux de l’environnement” (Constitution vaudoise), faire en sorte de “réduire le plus possible les atteintes à la qualité de l’eau”, “préserver sa pureté” et en promouvoir une “utilisation rationnelle et économe”.

Ces diverses expressions renvoient bien évidemment à d’autres articles ou alinéas traitant du développement durable, une notion certes récente mais d’ores et déjà consacrée par la Constitution fédérale de 1999 qui fait obligation à la Confédération et aux cantons d’œuvrer “à l’établissement d’un équilibre durable entre la nature, en particulier sa capacité de renouvellement, et son utilisation par l’être humain” (art.73).

Au fil des Constitutions cantonales, cet impératif se traduit par diverses formulations succinctes et complémentaires incitant par exemple les autorités à assurer une bonne qualité de la vie, privilégier les intérêts des générations futures, associer les milieux intéressés aux mesures décidées, maintenir et préserver le milieu naturel, maintenir la biodiversité, utiliser des technologies qui ménagent l’environnement, encourager l’utilisation d’énergies renouvelables, et autres engagements qui d’une manière ou d’une autre s’appliquent à la gestion des ressources en eau. Plusieurs textes mettent toutefois un accent particulier sur l’évacuation et l’épuration des eaux usées qui doivent se faire “sans nuire à l’environnement”.

L’originalité argovienne

Certaines Constitutions cantonales mentionnent quelques-uns des champs d’application de la souveraineté de l’État dans le domaine de l’eau, entre autres : les cours d’eau (entretien, correction, captage, utilisation, etc.), les sources d’eaux minérales et thermales publiques, les nappes phréatiques et les eaux souterraines ; l’octroi de droits d’eau ; le transport fluvial ou encore (à certaines conditions) l’exploitation des forces hydrauliques.

Il vaut cependant la peine de souligner la démarche originale du canton d’Argovie (en allemand : Aargau, c’est-à-dire pays de l’Aar) qui est l’un des rares États au monde (le seul et unique, disent les Argoviens) à avoir inscrit dans sa Constitution - lors d’un vote populaire en 1993 déjà - l’obligation de protéger les zones alluviales.

Il faut savoir que c’est sur territoire argovien, au nord-ouest de la Suisse, que se rejoignent trois rivières (Aar, Reuss et Limmat) qui arrosent quasiment la moitié du pays avant de se jeter dans le Rhin quelques kilomètres plus loin. Le texte constitutionnel a pour objectif “de sauvegarder l’espace vital menacé des zones alluviales et de maintenir ce qui reste des anciennes zones alluviales d’importance nationale et d’un intérêt paysager et biologique unique en son genre”. Il est précisé que cette réserve naturelle doit s’étendre sur une surface d’un seul tenant et ne pas excéder un pour cent de la superficie cantonale.

On ne s’étonnera donc pas que la proximité de ce confluent baptisé “Wassertor der Schweiz” (Porte de l’eau de la Suisse) ait jadis incité les Argoviens à mettre une eau fluctuante dans leurs armoiries - trois fasces ondées d’argent - et être le seul canton à l’avoir fait dans un pays qui pourtant se présente volontiers comme le château d’eau de l’Europe.

Bernard Weissbrodt


(*) Voir les motions et initiatives parlementaires :
 droit à l’eau comme un droit humain fondamental
 l’eau est un bien public
 l’eau potable n’est pas un bien marchand




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Infos complémentaires

"La Confédération pourvoit à l’utilisation rationnelle des ressources en eau"
(Photo d’archives
Pierre Schwaller)


Les mentions de l’eau dans la nouvelle Constitution genevoise acceptée par votation populaire le 14 octobre 2012

Chapitre III,
Tâches publiques
Section 1, Environnement

Art. 157 Principes
1. L’Etat protège les êtres humains et leur environnement.
2. Il lutte contre toute forme de pollution et met en œuvre les principes de prévention, de précaution et d’imputation des coûts aux pollueurs.
3. L’exploitation des ressources naturelles, notamment l’eau, l’air, le sol, le sous-sol, la forêt, la biodiversité et le paysage, doit être compatible avec leur durabilité.

Art. 159 Eau
1. L’approvisionnement en eau est garanti en quantité et qualité suffisantes. Cette ressource doit être préservée et économisée.
2. Sous réserve des droits privés valablement constitués, le lac, les cours d’eau, les nappes d’eau principales et profondes, tels que définis par la loi, sont des biens du domaine public et doivent être sauvegardés.

Section 2, Aménagement
du territoire

Art. 166 Accès aux rives
L’Etat assure un libre accès aux rives du lac et des cours d’eau dans le respect de l’environnement et des intérêts publics et privés prépondérants.

Section 3, Energies

Art. 168 Services industriels
1. L’approvisionnement et la distribution d’eau et d’électricité, ainsi que l’évacuation et le traitement des eaux usées, constituent un monopole cantonal dans la mesure permise par le droit fédéral.
2. Ce monopole peut être délégué à une institution de droit public. Celle-ci offre également d’autres prestations en matière de services industriels, notamment la fourniture du gaz et de l’énergie thermique, ainsi que le traitement des déchets.
3. Elle rachète à des conditions adéquates l’énergie renouvelable produite par des particuliers ou des entreprises.
4. Elle ne pratique pas de tarifs dégressifs non conformes aux objectifs de la politique énergétique de l’Etat.


Liens utiles

Il est possible, sur le site de la Confédération,
de consulter en ligne
et/ou de télécharger
la Constitution fédérale ainsi que les diverses
Constitutions cantonales


DOCUMENT DE TRAVAIL
L’eau dans le droit constitutionnel suisse, fédéral et cantonal (2012)

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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