Le Canal de Provence à proximité de la Montagne Ste-Victoire (© SCP)
Solidarité aval - amont :
le partenariat entre le Canal de Provence
et le Parc du Verdon
Mieux vaut prévenir que guérir. Transposée dans le domaine de l’eau, cette sagesse populaire signifie qu’il est préférable de veiller, en amont d’abord, à la bonne qualité des ressources plutôt que de devoir en aval payer leur traitement au prix fort. Les gestionnaires du Parc naturel régional du Verdon et de la Société du Canal de Provence (SCP) l’ont bien compris, eux qui en 2008 ont conclu une forme de partenariat dans le but de préserver "ce bien commun qu’est le Verdon" et de "contribuer ensemble à l’aménagement équilibré et au développement durable de la région provençale".
Le Verdon a longtemps alimenté en eau la plaine d’Aix-en-Provence jusqu’à ce que l’on décide, dans les années 1960, d’aménager un canal pour desservir également une centaine de communes du Var et des Bouches-du-Rhône, jusqu’à Toulon et Marseille. Cette solidarité amont-aval, qui s’est nourrie d’une eau relativement abondante et de très bonne qualité, n’est pas étrangère au développement économique et démographique de toute la région. Encore faut-il veiller à gérer cette ressource de façon durable et équilibrée.
C’est là que se greffe le "retour de partenariat" dans le sens aval-amont, initié en 2008, et qui se traduit, du côté de la Société du Canal de Provence, par des investissements financiers, des appuis techniques et diverses expertises : grâce à ce dispositif, qui représente un montant de quelque 40 millions d’euros, plusieurs communes de la région du Parc du Verdon ont pu par exemple moderniser leurs stations d’épuration des eaux.
Cette convention de partenariat a été renouvelée durant l’été 2014 et permettra également de mettre en oeuvre un projet d’accompagnement de la mutation des pratiques agricoles du plateau de Valensole, baptisé jadis "grenier de la région" et bien connu pour sa production de blé dur et de lavandin, vers des agrosystèmes durables.
– Sites web de la Société du Canal de Provence
et du Parc naturel régional du Verdon
Réserve d’eau de pluie (impluvium) sur l’alpage de la Thuile
(Photo © Syndicat mixte du Salève)
Solidarité ville – montagne :
un partenariat pour protéger
les sources du Salève (Haute-Savoie)
La solidarité pour l’eau entre villes et montagnes ne se limite pas à garantir le partage équitable et le bon état écologique des eaux de surface qui courent vers les plaines. Elle implique aussi de veiller à la meilleure qualité possible des ressources souterraines, en particulier de celles qui à plus ou moins long terme sont destinées à la production et à la distribution d’eau potable. Le Salève - cette montagne quasi emblématique qui sert de décor permanent au va-et-vient des habitants de l’agglomération franco-suisse du bassin genevois – en fournit un bon exemple.
Voilà un chaînon de Préalpes savoyardes qui se dresse et s’étale tel un massif de verdure à la marge d’un espace fortement urbanisé. S’il a échappé jusqu’ici aux frénésies de construction des promoteurs immobiliers, c’est d’abord et avant tout parce que l’eau y est rare. Qu’il pleuve ou que fonde la neige, l’eau s’infiltre très rapidement dans les profondeurs de couches calcaires dont les hydrogéologues ont pu se convaincre qu’elles ont une faible capacité de rétention et de filtration.
"Du creux de la roche moussue, la petite source jaillit ; du Grand-Salève elle est issue et deux brins d’herbe font son lit" écrivait Théophile Gautier. Au pied du Salève, là où les services de la communauté de communes de l’agglomération d’Annemasse ont le souci de distribuer une eau de qualité, la réalité paraît moins poétique même si l’un de leurs principaux captages est installé au lieu-dit des Eaux-Belles. Car ce massif de moyenne montagne est un système karstique très fragile, pour ne pas dire fortement vulnérable aux pollutions de toutes sortes. Ce qui oblige les producteurs d’eau potable de recourir à des technologies très performantes pour sa purification.
Le Salève ressemble certes, parfois, à une grande aire de loisirs pour citadins, mais ce sont ses traditionnelles activités pastorales principalement orientées vers l’élevage, son bon millier d’hectares de pâturages, sa quarantaine d’alpages ainsi que son riche espace forestier qui retiennent surtout l’attention dès qu’on aborde les questions de préservation des milieux naturels sensibles et des ressources en eau.
Conscients de leur coresponsabilité, propriétaires de pâturages et alpagistes se sont engagés dans un partenariat réunissant l’ensemble des usagers du massif. Les tâches ne manquent pas, notamment en matière de définition des périmètres de protection des captages, d’amélioration de la distribution de l’eau aux troupeaux, d’aménagement de récupération et de stockage d’eau, d’assainissement des abreuvoirs, ou encore de lutte contre l’embroussaillement et de renoncement à l’usage de produits phytosanitaires. Bref, il s’agit pour eux et avec eux de faire en sorte que la principale source du Salève mérite vraiment son nom d’Eaux-Belles.
– Sites web de Annemasse Agglo (eau potable),
de l’Association foncière pastorale du Salève
et de la Maison du Salève
Travaux sur Drac en amont de Saint-Bonnet-en-Champsaur
(photo © Charles Queyras TP)
Reconstitution du stock alluvial et sédimentaire
du Drac Amont (Hautes-Alpes)
En hydromorphologie, autrement dit la science qui étudie la forme des cours d’eau, on appelle cela des "altérations anthropiques du transport solide grossier en rivière", pour reprendre le titre de la présentation faite à Megève par Jean-René Malavoi, de l’Office national français de l’eau et des milieux aquatiques. En clair, et qu’il le veuille ou non, l’homme peut en effet perturber de façon importante les processus naturels d’érosion et de déplacement des matériaux solides, tels les galets, qui roulent ou glissent dans les cours d’eau.
Le reboisement des montagnes pour en stabiliser les versants, l’abandon des pâturages peu à peu reconquis naturellement par la forêt, l’aménagement de seuils destinés à retenir les sédiments en amont des vallées, la construction de barrages pour l’irrigation et la production d’énergie, les extractions massives de graviers et autres interventions humaines sur les rivières ont eu pour conséquence, à la longue, d’entraîner un important déficit de leur stock d’alluvions.
Résultats : les nappes phréatiques s’abaissent, les rives s’assèchent et leurs écosystèmes se dégradent, les assises des ponts, digues et autres infrastructures s’affaissent, de grosses incisions apparaissent dans les lits des rivières qui s’enfoncent parfois de plusieurs mètres, et les crues se font toujours plus violentes. C’est ce qui s’est passé, entre autres, dans le bassin supérieur du Drac, une rivière qui prend sa source dans les Hautes-Alpes, dans le Parc des Écrins, et rejoint l’Isère non loin de Grenoble.
Bien résolus à interrompre ce processus destructeur de leur milieu de vie, les habitants de la région de Saint-Bonnet-en-Champsaur et la Communauté locale de l’eau du Drac Amont - avec l’appui technique, comme maître d’oeuvre, du bureau d’études français BURGEAP spécialisé dans l’ingénierie de l’environnement - ont alors décidé de lancer l’un des plus importants projets de recharge sédimentaire de France, en termes de volume. En d’autres mots : de "remettre des cailloux dans la rivière" et de lui "refaire son lit". Les travaux, devisés à 5 millions d’euros et entamés en novembre 2013, se sont achevés en mars 2014 : pour restaurer 3,5 kilomètres de rivière, une noria de camions a déplacé 450’000 mètres cubes de sédiments. Aujourd’hui, le Drac Amont a retrouvé toute sa largeur et ses riverains peuvent se réapproprier leur bien commun.
– Sites web de la
Communauté locale de l’eau du Drac Amont et de la société BURGEAP
Photo dossier de presse EDF (© Pascal Tournaire)
Déplacement de captage hydroélectrique
sous les glaces du Mont-Blanc
Qui, de passage à Chamonix, observe la Mer de Glace, ne devinera jamais que sous ce célèbre glacier se cache depuis le début des années 1970 une vaste installation entièrement souterraine aménagée par Électricité de France (EDF) : prise d’eau, turbines, alternateur, transformateur, galeries, câbles de transport électrique et autres équipements échappent aux regards. L’essentiel de la production de la Centrale hydroélectrique des Bois - 115 millions de kWh par année - s’y fait entre mai et octobre, grâce au turbinage de l’eau de fonte de la Mer de Glace.
Mais, avec le recul du glacier (de plusieurs dizaines de mètres par an), son utilisation est devenue de plus en plus problématique. Au fil des ans, EDF a bien compris qu’elle n’avait pas d’autre choix que de s’adapter le plus rapidement possible à ce changement climatique et de déplacer le captage bien plus en amont et sous 100 mètres de glace, à l’aplomb du site de Montenvers, bien connu des touristes qui empruntent son chemin de fer.
Pour remplacer la prise d’eau d’origine, abandonnée par la glace et recouverte de débris de moraine dès le printemps 2009, on procéda d’abord au percement d’une galerie de 150 mètres pour récupérer de l’eau sous le glacier et assurer provisoirement l’approvisionnement de l’usine électrique. Puis, non sans difficultés techniques (comme la nécessité de projeter de l’eau pour creuser dans la glace), en faisant appel à des experts en glaciologie voire même à un guide de montagne pour déterminer les meilleurs endroits de captage, et après avoir creusé une galerie spéciale permettant de déblayer les débris rocheux à l’aval du glacier, il devint alors possible d’aménager la grotte glaciaire abritant le nouveau captage ainsi qu’une galerie de dérivation d’environ un kilomètre.
La nouvelle installation a été mise en service au printemps 2011 mais, vu que la Mer de Glace va continuer de fondre, la question reste ouverte quant à sa durabilité : une vingtaine d’années ? Ce qui n’empêche pas d’apprécier les efforts consentis par EDF pour garantir un mode de production énergétique totalement renouvelable et un impact visuel minimum sur les paysages, en l’occurrence sur un site fréquenté chaque année par une multitude de visiteurs.
– Site web EDF énergie hydraulique
Bernard Weissbrodt