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février 2012.

Coopération entre communes pour la distribution de l’eau : une question de survie pour les Franches-Montagnes

À l’heure où, en Suisse, il est beaucoup question d’améliorer la (...)

À l’heure où, en Suisse, il est beaucoup question d’améliorer la coopération entre les collectivités publiques pour gérer plus efficacement leurs ressources, par le biais notamment des fusions de communes, le Syndicat pour l’alimentation des Franches-Montagnes en eau potable (SEF) fait un peu figure de précurseur. Créé en 1936 déjà, il regroupe aujourd’hui 25 communes réparties sur deux cantons, Jura et Berne. Il n’est pas exagéré de dire que, plus que jamais, de lui dépend littéralement la survie de toute une région.

Approvisionner les Franches-Montagnes en eau potable n’est pas une mince affaire. Ce vaste haut-plateau, à une altitude moyenne de 1’000 mètres, présente en effet à peu près toutes les caractéristiques des paysages jurassiens, alternant pâturages et sapinières, parsemés d’innombrables dolines, emposieux et autres entonnoirs naturels (1) où se déversent rapidement les eaux de pluie et de fonte pour rejoindre les profondeurs des réseaux calcaires souterrains. Les sources et les eaux de surface y sont donc denrée rare, hormis quelques étangs et marais protégés.

Pendant des siècles, la plupart des habitants de cette région n’avaient guère d’autre choix que de recueillir les eaux de pluies dans des citernes souvent rudimentaires, non sans risques pour leur santé et sans garantie d’en disposer suffisamment tout au long de l’année pour leurs usages quotidiens, surtout dans les fermes. Avec le temps, il fallut se rendre à l’évidence que la seule solution réaliste était de s’unir et de se donner les moyens d’aller ensemble chercher cette ressource vitale là où elle se trouve, c’est-à-dire dans le fond de l’une ou l’autre des vallées adjacentes.

C’est alors que naît le projet qui, au fil des hypothèses, se traduira finalement en 1936 par la constitution du Syndicat pour l’alimentation des Franches-Montagnes en eau potable (SEF), regroupant au départ 13 communes. À cette époque, le canton du Jura n’existait pas encore et lorsque celui-ci sera créé en 1979, le SEF deviendra une entité publique de coopération intercantonale (2).

Le syndicat fonctionne selon un principe relativement simple : à lui d’approvisionner les communes en eau potable, à chacune d’elles ensuite de l’acheminer vers ses propres usagers. Concrètement, l’eau captée dans une nappe souterraine du Vallon de Saint-Imier, à 700 mètres d’altitude, est d’abord amenée par pompage vers un réservoir central situé à plus de 1’200 mètres (ce qui, soit dit en passant, grève lourdement le budget énergétique du syndicat), puis redistribuée par gravité vers les réservoirs communaux. Le syndicat facture ces approvisionnements à chaque commune séparément selon un système unique de tarification.

Sur la corde raide

Beaucoup plus tard, le SEF s’est doté d’une seconde station de pompage dans la même vallée et de réservoirs principaux supplémentaires sur les hauteurs. Reste qu’aujourd’hui, avec l’augmentation de la population et l’accroissement des activités économiques et touristiques de la région, mais aussi les dérèglements climatiques enregistrés au cours de la dernière décennie, Pierre-Alain Barthe, chef d’exploitation du syndicat franc-montagnard, ne fait pas mystère de ses préoccupations :

“Depuis la canicule de 2003, on était déjà sur la corde raide. Et l’an passé, on a traversé deux périodes difficiles. Durant les cinq premiers mois de 2011, on a eu moins de précipitations que pendant tout le mois de juillet et on a connu un automne très sec. Fin novembre, on s’est même retrouvé dans une situation critique. Et à cette période de l’année, on ne peut même pas demander à la population qu’elle restreigne ses usages d’eau. En été, il est facile d’interdire les arrosages et les remplissages de piscines. Avec de bons résultats. Mais que faire en novembre, sinon de dire aux gens d’économiser un tant soit peu, ce qui, au bout du compte ne représente guère qu’un ou deux pour cent de la consommation totale. Je me réjouis vraiment d’avoir un troisième point d’eau …”

Ce projet de troisième station de pompage est en train de prendre forme et ce ne sera pas du luxe, car une grosse panne sur l’une des deux installations existantes serait problématique pour l’approvisionnement des Franches-Montagnes. Le syndicat et la commune de Saint-Imier, dans le canton de Berne, ont décidé de faire cause et bourse communes pour installer et exploiter une nouvelle prise d’eau. Des forages ont permis de localiser un puits prometteur à Sonvilier, un projet déjà bien élaboré est d’ores et déjà sur la table, les modes de financement sont à l’étude et si le calendrier prévu est tenu, les travaux pourraient commencer au début de l’an prochain et durer trois ans environ.

Des réseaux à la limite d’âge

Par ailleurs président de l’association Distributeurs d’eau romands, ce qui lui offre une bonne vue d’ensemble des problèmes auxquels ce secteur d’activité est confronté, Pierre-Alain Barthe, que nous avons rencontré à Bulle lors du dernier Salon aqua pro gaz (3), a encore bien d’autres soucis en tête, à commencer par les efforts à poursuivre inlassablement pour garantir la meilleure qualité d’eau possible au robinet. Mais pas seulement :

“En matière d’équipements pour l’approvisionnement et la distribution d’eau potable, on a mangé notre pain blanc ! On arrive dans une période où pratiquement tous les réseaux d’eau ont entre 70 et 100 ans, quand ce n’est pas plus. Il est grand temps de renouveler les installations, les réseaux et les conduites. Et pourtant nombre de communes n’ont pas le moindre franc de réserve pour cela. Un service des eaux ne peut pas se contenter de présenter chaque année des bilans financiers équilibrés. Il lui faut aussi constituer des fonds. Certains comprennent bien la situation. D’autres pas. Comme ceux qui prétendent disposer de bons réseaux avec un minimum de pertes. Ce qui est sans doute vrai, car dès qu’il y a une fuite, on la répare certes. Mais avoir une conduite d’eau où il y a plus de manchons de réparation que de tuyaux, ça n’a aucun sens. Certains réseaux ont atteint leur limite d’âge et les investissements liés au renouvellement seront considérables. C’est un défi important qui attend les responsables des services des eaux : convaincre les autorités politiques quant aux moyens à mettre à leur disposition pour entreprendre ces travaux.”

Les années à venir s’annoncent un peu difficiles. D’autant que, en ce qui concerne le Jura, les citoyens ont refusé il y a trois ans un projet de loi cantonale qui prévoyait la création d’un fonds cantonal pour aider au financement d’infrastructures dans le domaine de la gestion de l’eau. Les Franches-Montagnes, qui l’ont aussi refusé, en auraient été pourtant les premières bénéficiaires, constate Pierre-Alain Barthe. Car, dans cette région pauvre en ressources hydriques, il faut des réseaux quasi démesurés et des kilomètres de conduites pour desservir un petit nombre d’habitants, de surcroît souvent dispersés. De quoi, effectivement, avouer quelques soucis pour l’avenir.

Bernard Weissbrodt


Notes

(1) Voir l’article aqueduc.info : "De quelques spécialités jurassiennes modelées par l’eau"

(2) Le 25 mars 2012, une votation populaire doit décider de l’acceptation ou non d’un projet de fusion des 13 communes jurassiennes actuelles des Franches-Montagnes en une seule entité politique et administrative. En cas d’acceptation et avec l’aval du gouvernement et du parlement cantonaux, cette commune unifiée verrait le jour au début de l’année 2013 et deviendrait propriétaire des réseaux et installations publics d’eau et d’épuration des eaux usées. Mais cette modification ne devrait pas entraîner de modifications dans le fonctionnement du SEF. Pour en savoir plus sur ce projet de fusion, voir le site www.franchesmontagnesavenir.ch

(3) Voir le site du Salon aqua pro gaz et la rubrique spéciale d’aqueduc.info

 Autre exemple de coopération intercommunale : Multiruz




Infos complémentaires


Le SEF en quelques chiffres

 Le SEF dessert en eau potable - à savoir une moyenne d’un million et demi de mètres cubes par an - un territoire de quelque 300 km2 répartis sur les cantons de Berne et du Jura. Ses installations comprennent 2 stations de pompage, 6 réservoirs principaux et un réseau de conduites de transport d’eau long d’une bonne centaine de kilomètres.
 Le syndicat regroupe actuellement 25 communes (13 jurassiennes et 12 bernoises) représentant une population d’environ 16’000 personnes et desservies par le biais d’une trentaine de réservoirs locaux. Trois communes disposent également de leur propre source.

En savoir plus sur le
site du SEF


Distributeurs d’eau romands


Cette association, fondée en 1976 sous le nom de Société des distributeurs d’eau de Suisse romande (SDESR), a changé de dénomination en 2010. Elle regroupe aujourd’hui quelque 150 communes et services publics d’eau. Elle n’exerce aucune activité lucrative ou commerciale, mais se donne notamment pour buts de
 développer le réseau de relations entre distributeurs d’eau potable, pouvoirs publics, prestataires de service et fournisseurs
 contribuer à la formation de ses membres via notamment l’organisation de journées techniques sur des problématiques d’actualité en matière de distribution d’eau potable
 contribuer à valoriser l’eau du robinet et mieux faire connaître le travail des distributeurs d’eau
 faciliter la compréhension et la mise en œuvre des lois et règlements concernant la distribution d’eau potable
 représenter et défendre aux niveaux national et fédéral les points de vue et intérêts des distributeurs romands d’eau potable.

En savoir plus sur le site des Distributeurs d’eau romands

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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