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16 octobre 2003.

Combien d’eau "virtuelle" consommez-vous chaque jour ?

Non ! l’eau virtuelle n’est pas celle qui circule dans le (...)

Non ! l’eau virtuelle n’est pas celle qui circule dans le cyberespace (quand bien même les industries de haute technologie informatique en consomment des masses exorbitantes). C’est la quantité d’eau nécessaire à la production d’une denrée agricole et donc, aussi, un indicateur supplémentaire de la bonne ou mauvaise utilisation des ressources en eau de la planète. Ce thème inattendu était au cœur de l’une des contributions les plus remarquées du symposium "sans eau, pas de nourriture", organisé à Zollikofen (Suisse) à l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation.

Dans une intervention qui a surpris plus d’un de ses auditeurs, Christoph Studer, professeur à la Haute école suisse d’agronomie de Zollikofen, voulait montrer comment une approche nouvelle de la problématique de l’eau dans la nourriture pourrait peut-être contribuer à réduire la pression sur les ressources en eau.

Pour simplifier, disons que l’eau virtuelle contenue dans un produit agricole ou industriel est l’eau utilisée pour sa production. Ce nouvel indicateur, formulé au début des années 1990 par un chercheur anglais, Tony Allan, devient ainsi un outil essentiel au calcul de l’utilisation réelle des eaux d’un pays.

Au symposium de Zollikofen, une petite exposition permettait d’ailleurs de visualiser rapidement le propos. D’un côté, un bac contenant 300 litres d’eau ; de l’autre, cinq produits agricoles obtenus grâce à cette quantité d’eau, au choix : 1648 grammes de pommes de terre, 360 de maïs, 270 de blé, 119 de riz… ou (seulement) 19 de viande de bœuf.

À en croire Christoph Studer, cette façon de poser le problème n’est pas réservée aux spécialistes. Elle illustre à merveille "les rapports existant entre, d’une part, les ressources en eau et, d’autre part, la production et le commerce de produits agricoles, tels que les denrées alimentaires".

Autrement dit, ce concept permet aux consommateurs de mieux comprendre comment leurs comportements alimentaires influent sur la consommation d’eau globale. Idem pour les décideurs techniques et politiques qui peuvent apprécier plus facilement les impacts du commerce agricole international sur les ressources en eau.

Et si les consommateurs changeaient leurs habitudes ?

On l’a vu, la production de denrées alimentaires d’origine animale (viande, lait, œufs) nécessite bien plus d’eau que celle de denrées d’origine végétale. Et si tout le monde adoptait le mode d’alimentation occidental, il faudrait globalement environ 75% plus d’eau qu’aujourd’hui.

Dans la pratique, constate Christoph Studer, un régime alimentaire approprié (ne pas trop manger) avec une part de viande réduite offrirait un double avantage : il atténuerait les problèmes de surcharge pondérale et de cholestérol, et il réduirait en même temps la quantité d’eau nécessaire à la production de nourriture.

Une autre application du concept de l’eau virtuelle par le consommateur serait de renoncer à l’achat d’aliments à forte consommation d’eau produits dans des pays ne disposant que de faibles ressources en eau. Cela pourrait inciter ces pays à en produire moins et à en exporter moins.

Il importe toutefois, dans ces évaluations, de se souvenir que la quantité d’eau nécessaire à une production agricole peut varier fortement d’une région à une autre, car elle est évidemment tributaire des conditions climatiques, des saisons et des systèmes de culture ou d’élevage.

Conclusion du spécialiste : "si l’on réussissait à sensibiliser de plus larges groupes de la population à la teneur en eau virtuelle des divers aliments (et autres produits), ce serait un pas de plus vers une prise de conscience plus aiguë du problème global de l’eau et - on peut l’espérer - vers un comportement plus raisonnable à cet égard".

Les atouts du commerce de l’eau virtuelle…

Le concept de "l’eau virtuelle", selon Christoph Studer, permet de démontrer que des déficits en eau locaux (même graves) peuvent être atténués très efficacement par des processus économiques globaux. Car si l’on importe des produits agricoles, on économise de l’eau.

Ce commerce d’eau virtuelle pourrait être envisagé entre des régions qui bénéficient d’une productivité de l’eau élevée (grâce à leurs conditions climatiques ou leurs techniques modernes de production) et des régions où l’utilisation de l’eau est moins efficiente.

Le professeur Studer cite, entre autres, le cas de l’Égypte : dans ce pays, on s’attend ces prochains mois à ce que les importations de blé passent de 6,5 à 6,6 millions de tonnes. Comme il faut en moyenne 1000 litres d’eau pour produire un kilo de blé, cela correspond à une importation d’eau virtuelle d’environ 6,6 milliards de tonnes. Grâce à ses importations céréalières, l’Égypte économisera près de 12% de sa part d’eau du Nil.

Compenser ainsi les déficits en eau n’est pas seulement une solution pour les pays qui en souffrent en permanence. Ces importations d’eau virtuelle peuvent résoudre au coup par coup des situations difficiles voire catastrophiques lors de grandes sécheresses. C’est ce qui expliquerait aussi en partie pourquoi les guerres de l’eau tant redoutées ne se sont pas vraiment concrétisées jusqu’à présent.

Ce concept de l’eau virtuelle est pris très au sérieux sur le plan international. Car il faut savoir que son import/export sous forme de denrées alimentaires s’est fortement accru au cours des dernières décennies et que les pronostics prédisent une accentuation dramatique de cette tendance : le commerce international des céréales doublera et celui de la viande triplera au cours du quart de siècle à venir.

…et ses risques écologiques et politiques

À regarder le problème à l’autre bout de la chaîne, c’est-à-dire du côté de pays exportateurs, on s’aperçoit que cette pratique s’accompagne dans certaines régions d’une surexploitation des eaux souterraines. Un problème qui s’accroît sérieusement dans des pays où les ressources d’eau sont fortement mises à contribution comme au Kazakhstan, en Syrie ou au Burkina Faso.

Selon les chiffres cités par le professeur Studer, l’exportation d’eau virtuelle des États-Unis équivaut à environ un tiers de toute la quantité d’eau utilisable du pays. En Israël, la quantité d’eau virtuelle contenue dans les principaux produits d’exportation (fruits, légumes, fleurs) représente le triple du volume d’eau provenant du Golan occupé.

De manière générale, il faut bien reconnaître que les incidences de ces pratiques intensives sur la nappe phréatique sont graves : ici et là, elles ont déjà provoqué une forte baisse de niveau, un tarissement des sources et une salinisation des eaux souterraines, ce qui les rend évidemment impropres à l’irrigation.

Certains experts estiment aussi que le transport de produits agricoles de par le monde est écologiquement insensé vu la consommation d’énergie qu’il occasionne.

Enfin, les risques politiques sont à prendre très au sérieux d lorsqu’il s’agit d’une part de garantir sa sécurité alimentaire et d’autre part de ne rien perdre de son indépendance. On sait de par l’histoire que plus le degré d’auto-approvisionnement d’un pays est bas, plus sa marge d’autonomie politique est faible.

Autant de questions et d’objections qui montrent bien - ce sera la conclusion de Christoph Studer - "qu’il faudra encore beaucoup de recherche, afin que les décideurs soient à même d’évaluer et de prendre en compte les interactions et les conséquences d’un commerce accru d’eau virtuelle dans ses dimensions écologique, économique, sociale, culturelle et politique". (bw)


Symposium : "Sans eau, pas de nourriture"
Organisé conjointement par l’Office fédéral de l’agriculture, la Direction du développement et de la coopération suisse et la Haute école suisse d’agronomie / Zollikofen, 14 octobre 2003

Documents du symposium disponibles sur le site de InfoAgrar,
service suisse d’information et de documentation agricole pour la coopération au développement

Fiche : quelques chiffres-clés du commerce de l’eau virtuelle

Voir aussi :

UNESCO, Année internationale de l’eau douce : webothèque/eau virtuelle
"Le Courrier de l’UNESCO", février 1999, "L’eau virtuelle dans tous ses états" (dossier)

"Virtual Water Trade and Geopolitics" : conférence électronique (en anglais) du World Water Council




Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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