Depuis 2011, la réforme de la législation sur les marchés publics fait partie des actions prioritaires pour l’instauration du marché unique européen. La proposition de directive sur les concessions s’inscrit dans ce contexte et vise plus particulièrement à moderniser, simplifier et assouplir les règles et les procédures de la commande publique à l’intérieur de l’Union, de manière à garantir une plus grande sécurité juridique, une meilleure transparence et une égalité de traitement entre ses membres et les opérateurs privés.
Le fait que les services de l’eau soient inclus dans cette proposition de directive a, même avant le début des négociations, suscité ici et là des interrogations et des critiques. À preuve, l’initiative citoyenne européenne "L’eau et l’assainissement sont un droit humain ! L’eau est un bien public, pas une marchandise !" qui, à ce jour, a d’ores et déjà largement dépassé le million de signatures nécessaires à sa prise en compte par la Commission européenne (voir article aqueduc.info du 11 février 2013). Cette initiative demande, entre autres, que l’approvisionnement en eau et la gestion des ressources hydriques ne soient pas soumis aux "règles du marché intérieur" et que les services des eaux soient exclus de la libéralisation.
En janvier de cette année (1), la Commission européenne, par la voix de Michel Barnier, avait déjà nié toutes les allégations selon lesquelles elle chercherait à privatiser la distribution de l’eau : "L’eau est un service essentiel pour les citoyens. Cette proposition, en aucune façon, ne remet en cause la liberté des collectivités à organiser les services de l’eau, les pouvoirs publics seront en aucun cas obligés d’externaliser ces services. Malheureusement, il est plus facile de désinformer que de dire la vérité."
Cinq mois plus tard, le commissaire européen chargé du Marché intérieur doit donc se rendre à l’évidence (2). Il n’a pas réussi à convaincre les sceptiques et il estime être de son devoir de "tenir compte des inquiétudes exprimées par tant de citoyens" : "Malgré tous les changements apportés au projet et les contributions de tous les partis politiques du Parlement européen et du Conseil, je tire la conclusion qu’en l’état le texte concernant le domaine de l’eau ne satisfait personne : il n’offre pas les garanties que les citoyens attendent et divise le marché unique. C’est pourquoi la meilleure solution semble à présent de retirer le domaine de l’eau du cadre de la directive".
Cette décision rappelle une autre polémique qui, il y a quelques années, avait marqué les négociations autour de la fameuse directive dite de Bolkestein, du nom du commissaire européen qui l’avait initiée, relative à la libéralisation des services dans le marché intérieur. Dans sa première mouture, cette directive englobait tout un éventail de services fournis aux consommateurs comme aux entreprises, à l’exclusion de ceux relevant directement de l’autorité publique. Très contesté dans certains milieux sociaux et professionnels, ce projet, finalement adopté en 2006, avait vu son champ d’application réduit et la plupart des services publics (notamment les services de l’eau) en avaient alors été exclus. (bw)
(1) Communiqué du 24 janvier 2013 Voir >
(2) Communiqué du 21 juin 2013 Voir >
P.S. AquaFed, la Fédération internationale des opérateurs privés de services d’eau, forte actuellement de quelque 300 sociétés réparties dans une quarantaine de pays, a réagi très fortement à l’annonce faite par le commissaire Barnier : "Cette décision n’est pas bonne pour les citoyens européens. De plus, la façon dont elle a été prise ne reflète pas la volonté de transparence annoncée.
Dans son communiqué, Aquafed conteste la représentativité de l’Initiative citoyenne européenne et de son million et demi de signatures, et dénonce l’action des lobbys publics allemands qui, selon elle, seraient "opposés à l’amélioration de la transparence des services publics de l’eau". En conséquence, elle va saisir la Commission européenne et lui demander "l’’ensemble des communications qu’elle a pu avoir avec les lobbys allemands ou autres qui ont réclamé des dispositions spécifiques pour le secteur de l’eau".