Le glossaire de l’eau ne cesse de s’enrichir. On avait déjà noté ici, il n’y a pas très longtemps, l’apparition du mot hydro-diplomatie. Voici maintenant l’aquaresponsabilité. Un néologisme venu tout droit apparemment du Québec pour désigner ce qu’une collectivité devrait faire pour garantir une gestion judicieuse de ses ressources et de ses services d’eau.
Au Canada, ce nouveau vocable a été pour ainsi dire officialisé par la création toute récente d’un "Institut international de l’aquaresponsabilité municipale" (iiAm) (1). Cette initiative en revient à l’Institut national de la recherche scientifique, à Québec, et l’Université Laval qui ensemble ont décidé de mettre leur expertise au service des villes et des municipalités qui souhaitent bénéficier d’une certification dans le domaine de la gestion de l’eau.
L’iiAm a pour cela développé une procédure d’audit portant sur 17 critères et indicateurs déterminants qui vont de la protection des sources d’eau potable à la gestion intégrée de la ressource, en passant par la gestion des eaux usées, l’adaptation aux changements climatiques, la formation du personnel des services de l’eau, l’information des citoyens, etc. Un projet pilote mené auprès de la Ville de Québec a permis de vérifier cette procédure et de valider cette approche.
Pour ses initiateurs, cette procédure s’inscrit dans une démarche d’amélioration constructive et durable de la gestion urbaine de l’eau et une certification de ce genre ne peut qu’être bénéfique à tous points de vue aux municipalités qui l’obtiennent : financiers, environnementaux, humains et organisationnels.
En Suisse, dans le cadre de l’Année de la coopération internationale dans le domaine de l’eau, l’Office fédéral de l’environnement - sans aller jusqu’à proposer une certification qui d’ailleurs ne serait pas de sa compétence – vient cependant de mettre à la disposition des autorités communales du pays un guide de coopération (2) qui leur permettra "de définir la marge de manœuvre nécessaire pour élaborer des solutions répondant aux attentes des générations futures en matière de gestion de l’eau".
Cette publication d’une trentaine de pages, d’une agréable présentation et facile d’accès pour un public non spécialisé, fait le tour des questions les plus importantes que les exécutifs locaux ont tout avantage à examiner lorsqu’ils envisagent l’une ou l’autre forme de coopération intercommunale en matière d’approvisionnement en eau, d’assainissement des eaux usées, de protection contre les crues, de projets de revitalisation, d’exploitation de la force hydraulique, d’irrigation ou encore de solidarité avec des populations de pays en développement.
À l’heure où les communes qui ont en Suisse, dans la grande majorité des cas, la compétence et la tâche de gérer leurs ressources hydriques, voilà un outil qui – au-delà des problématiques purement techniques auxquelles doivent faire face quasi quotidiennement les services communaux - devrait aider les élus locaux à mieux exercer leurs responsabilités particulières en la matière et à élaborer une politique communale de l’eau à la hauteur des multiples défis actuels.
Responsabilité : voilà donc un mot, qu’on le veuille ou non, que l’on retrouve désormais dans tous les domaines de la vie mais qui renvoie à des notions quelque peu disparates. Faut-il se limiter à cette acception assez générale selon laquelle il est du devoir fait aux personnes comme aux institutions de répondre de leurs actes et de réparer les dommages qu’elles auraient causés par leurs actes ou leurs négligences ?
En mars dernier, lors d’un colloque interdisciplinaire sur l’éthique globale de l’eau (3), François Dermange, professeur d’éthique à la Faculté de théologie de l’Université de Genève, a précisément conclu les débats par quelques réflexions personnelles pertinentes sur cette notion de responsabilité.
Dans le droit civil romain, explique-t-il, le "responsor" se portait garant de l’échange de consentement entre deux partenaires. Dans la tradition politique romaine, la République était là pour veiller à ce que soit respectée l’égalité d’accès des citoyens aux choses qui les concernent. Et François Dermange, allant plus loin dans la réflexion éthique, de faire référence à Gandhi autant qu’à Calvin : ce qui compte alors, c’est que "celui qui a du pouvoir en use pour le bien-être des autres et non pour le sien". Dans un monde où il y a de fortes dissymétries entre les puissants et les faibles, s’afficher responsable signifie en quelque sorte s’engager pour rétablir un minimum de symétrie et d’égalité. Autrement dit, "il y a des relations dissymétriques qui portent en elles une exigence morale".
Ces diverses compréhensions de la responsabilité ne sont pas que des nuances et si on les applique au domaine de l’eau, on voit que les approches politiques diffèrent elles aussi : caution administrative (on s’assure, sans être redevable d’éventuelles défaillances, que la distribution de l’eau est effective), volonté démocratique (on fait en sorte que cet accès à la ressource soit réalisé de manière juste et équitable et qu’il en soit rendu compte devant les citoyens), détermination éthique (on protège tout particulièrement les personnes et les groupes vulnérables et marginalisés). Le chemin est encore visiblement long de la simple certification d’aquaresponsabilité à l’engagement moral, individuel et collectif, pour la protection et le partage solidaire d’une ressource qui devrait être respectée comme un bien commun indispensable à toute vie.
"Et pour celui-là qui est solidaire des hommes, l’homme n’est point simple mot de son vocabulaire, l’homme c’est ceux dont il est responsable."
(Antoine de Saint-Exupéry, "Citadelle", CLXXV)
Bernard Weissbrodt
Notes
(1) Site de l’Institut international de l’aquaresponsabilité municipale : 2iam.org
(2) Voir l’article aqueduc.info : "Un guide pour les communes qui veulent coopérer dans le domaine de l’eau"
(3) 3e Colloque interdisciplinaire "Ethique globale de l’eau", 19 mars 2013, Genève. Voir >