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septembre 2012.

À la découverte du Lac Ahémé

Bernard Capo-Chichi nous emmène aujourd’hui sur les bords d’un (...)

Bernard Capo-Chichi nous emmène aujourd’hui sur les bords d’un lac situé au sud-ouest du Bénin, entre l’Océan atlantique et le fleuve Couffo dont il tire simultanément bénéfice. Cette cuvette, étonnant milieu poissonneux, est une source de revenus appréciés de ses riverains. Lesquels, toujours plus nombreux, en ont usé et abusé. Depuis quelque temps déjà, l’état de santé du Lac Ahémé fait problème. Pour certains, il est mourant. Pour d’autres, il est déjà mort. Sans qu’on puisse le prouver scientifiquement.

Avec ses 87 kilomètres carrés et ses 3 mètres de profondeur, sans comparaison avec les grands lacs africains, probablement d’origine tectonique, remarquable par la richesse et la diversité de ses ressources halieutiques, le Lac Ahémé était un peu "la vache laitière" de cette région dépourvue d’industrie moderne et vivant principalement de pêche, d’agriculture et de commerce. "C’est Dieu qui nous a donné le lac", clament fièrement ses quelque 250’000 riverains. En paraphrasant Hérodote, osons donc dire qu’il était pour cette population lacustre ce que le Nil est pour les Égyptiens !

Kakpovi, fils de Guézin, village lacustre emblématique, ne cache pas sa reconnaissance : "c’est le lac qui a financé mes études". C’est que la capture et la vente des produits du lac faisaient vivre des familles entières .Une sorte de banque de financement et d’investissement, sans intérêt aucun, que les populations ont exploitée plusieurs décennies durant sans compensation.

Ce n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui. Car entre temps le lac a subi une pression démographique croissante et ses nombreux corollaires. Il ne peut plus à présent répondre aux sollicitations de l’homme et de ses progénitures. Ce n’est pas surprenant. Puisqu’à la surexploitation quotidienne de ses ressources au moyen d’engins de pêche prohibés s’ajoutent les pollutions de toutes sortes dues au manque d’assainissement et de voirie.

Que dire de ses berges ? Déboisées, dénudées, elles subissent l’érosion constante des eaux de ruissellement qui charrient vers le plan d’eau d’énormes quantités de particules fines et de matières en suspension. Il faut dire que cette région se distingue par une pluviométrie très abondante. Ce qui explique cela.

Depuis quelques années, les spéculations sur l’état de santé du lac Ahémé vont bon train. Quels que soient les moyens de pêche, les captures sont toujours plus maigres et on n’y trouve même plus les espèces nobles très appréciées des consommateurs qui désormais, faute de mieux, n’ont guère d’autre choix que de se contenter d’une espèce locale, le ’gbodoe’, sans valeur nutritive ni économique. Peut-être n’est-il plus très loin, prédisent quelques pêcheurs inquiets, le temps où les riverains du lac importeront du poisson pour leur propre consommation.

"Quand le lac étouffe, les ménages volent en éclats", constate le chef d’arrondissement de Sègbohouè, grande localité des bords du lac. Les difficultés socio-économiques consécutives à la mauvaise santé du lac sont palpables un peu partout : les gens s’appauvrissent et s’en vont vers les villes et les pays voisins, les jeunes cèdent à la délinquance, et les ressources naturelles ne cessent de se dégrader. Le lac, disent certains, serait également victime de la politique politicienne qui, en échange de voix dans les urnes, "ferme les yeux" sur les déprédations écologiques des riverains.

D’où cet aveu d’impuissance entendu ici et là : "le lac est déjà mort". Mais, avant tout diagnostic définitif, il faudrait interroger la qualité de ses eaux. Hélas, les analyses fiables font défaut. De ce point de vue, le Lac Ahémé ne fait pas exception : au Bénin, les plans d’eau et les cours d’eau restent sans contrôle ni surveillance ni suivi scientifique. Tel un patrimoine en déshérence. Analyses physico-chimiques, biologiques, bactériologiques sont rares, voire inexistantes, comme de l’eau en plein désert.

Pourtant les solutions et les remèdes existent pour mener une gestion effective des ressources en eau : améliorer, clarifier et vulgariser le cadre législatif, juridique et institutionnel ; soutenir un assainissement municipal digne de ce nom ; encourager la formation dans les domaines de l’eau et du développement durable ; mettre sur pied un observatoire national de gestion des cours d’eau et des lacs, etc. Tout le monde est concerné et devrait s’impliquer directement dans la sauvegarde de ce bien commun. Qui, par ailleurs, ne manque pas d’arguments touristiques.

Je plaide pour tous les plans d’eau en général, et pour le Lac Ahémé en particulier. Ils méritent toute notre attention avant qu’il ne soit trop tard.

Texte et photos :
Bernard Capo-Chichi,
Porto-Novo, Bénin



Infos complémentaires

:: Un site protégé par la Convention Ramsar

La Basse Vallée du Couffo, la Lagune Côtiere, le Chenal Aho et le Lac Ahémé ont été inscrits le 24 janvier 2000, avec le numéro 1017, sur la liste Ramsar des zones humides d’importance internationale.

Ce site de 47’500 hectares comprend le Lac Ahémé, orienté nord-sud et long de 24 kilomètres, la rivière Couffo et son embouchure dans le nord du lac près de la ville de Bopa, et les zones marécageuses qui s’étendent sur une dizaine de kilomètres entre le lac et l’Océan Atlantique.

Les principaux écosystèmes sont constitués de mangroves, de marais, de prairies inondées et de formations artificielles résultant de l’industrie du palmier de noix de coco.

La pêche locale emploie quelque 10’000 pêcheurs. La récolte des crabes et des huîtres est exclusivement réservée aux femmes. On note aussi une importante production de vin de palme, de sel, de maïs et de produits maraîchers. (Données extraites de
la fiche Ramsar 1017)

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Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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