Le puits du Roi a été foré et mis en service dans les années 1920 avec l’aide de l’administration coloniale et à la demande du roi Goumoan. L’ouvrage a été réalisé dans des travaux d’utilité publique par des prisonniers de droit commun, dénommés à l’époque ‘prisonniers civils’.
D’une profondeur de 15 m et d’un diamètre d’environ un mètre et demi, ce puits creusé dans un sol granitique est situé à 200 m du palais royal de Savalou lui-même adossé à la colline, ce qui lui a conféré cet autre nom de « puits du palais royal » (honnukondoto).
Il est alimenté en permanence par un lac d’eau situé dans la colline selon le principe des vases communicants. Il est intarissable : l’eau y est disponible toute l’année, ce qui en fait une manne pendant les mois chauds de l’année.
C’est le tout premier ouvrage du genre réalisé à Savalou. A l’époque il desservait toute la cour du roi et les quartiers environnants de Lokodanu, Satto, Vêjamè, Malé etc. Soit une population de quelque 2’000 à 3’000 personnes, c’est-à-dire deux fois moins nombreuse qu’aujourd’hui. Jour et nuit sans arrêt et à tour de rôle, femmes, jeunes gens, jeunes filles y puisent l’eau nécessaire à leurs familles. C’est dans les premiers mois de l’année que l’affluence y est la plus forte, avec un pic en février. Il faut alors passer de longues heures à attendre que l’eau gicle et recharge le puits.
La fatigue et l’impatience font parfois monter la tension. Des querelles éclatent qui donnent lieu à des combats spectaculaires notamment entre femmes. Pourtant le puits du Roi unit beaucoup plus qu’il ne divise. Tout le monde en repart toujours satisfait.
Une longévité à toute épreuve
Pour ses nombreux abonnés, l’eau du puits répond bien à tous les usages domestiques. Les inconditionnels la préfèrent à l’eau courante de Savalou suspectée de provoquer des infections et de présenter des qualités organoleptiques douteuses. Autre atout : le puits du palais royal ne connaît lui ni coupure ni panne d’eau.
Soumise à une telle pression d’exploitation, la qualité de l’eau se dégrade quelque peu et peut devenir turbide. C’est pourquoi, une fois par trimestre, le puits reçoit la visite d’un agent des services d’hygiène. Par deux fois au moins durant son existence, il a subi une profonde cure de jouvence, ses parois ont été renforcées et dotées d’un couvercle, par mesure de sécurité et de protection. Pendant les mois d’hivernage, de juin à août, il pleut beaucoup à Savalou et le niveau d’eau des puits et des rivières d’eau monte à son maximum : alors que l’affluence baisse sensiblement, le puits du roi se remplit à ras-bord et refait ses forces en attendant le retour de la saison sèche.
Au cours de sa longue histoire, le puits du roi a connu quelques évènements malheureux et deux personnes s’y sont noyées. Après les cérémonies appropriées de salubrité, il a bien vite repris du service. L’expérience du puits du palais a d’ailleurs fait école à Savalou : une quinzaine de puits y ont été forés et répartis de façon judicieuse pour répondre aux besoins en eau d’une population sans cesse croissante. Mais, faute d’entretien, et peut-être aussi faute de bénédiction royale, ils sont tombés à l’abandon et devenus impropres à la consommation.
Le puits du roi demeure ainsi l’un des rares ouvrages de sa génération à avoir connu pareille longévité. Même s’il a été quelque peu rattrapé par l’urbanisation sauvage et que son espace ambiant s’est réduit comme peau de chagrin sans que personne ou presque ne l’ait remarqué, son âge et les services qu’il rend depuis si longtemps méritent vénération. Il a vu se succéder sur le trône du royaume de Savalou pas moins de cinq monarques et plusieurs générations d’usagers. A présent, rares sont ceux de ses contemporains qui peuvent encore témoigner de son passé et de tant de bons et loyaux services. À la fin de la décennie, il fêtera ses cent ans d’âge. Un siècle de fidélité et de générosité.
Texte et photos :
Bernard Capo-Chichi,
Porto-Novo (Bénin)